dimanche 1 avril 2012

Les maliens & le coup d’Etat

I.                    L’espoir d’une vie meilleure

Je retrouve Bamo, je ne l’ai pas vu depuis une semaine, et lui demande ce qu’il pense du coup d’Etat et de Sanogo le nouveau dirigeant du pays.

Il me dit que c’est une bonne chose et qu’il était temps que le président parte : « On ne veut plus d’ATT, il faut que ça change »
- « Mais Bamo, les élections sont dans un mois et le président n’est pas candidat, alors pourquoi maintenant ? »
- « Tu sais ce n’est pas une question d’élections, tout est cher ici, on en a marre »
- « Et tu crois que les militaires vont faire baisser les prix ? »
- « Oui ».

II.                  Rêves de dictature (propos recueillis le 28/03/2012)

Un soir, nous décidons d’aller boire un verre dans un café sympa près de chez nous. Habitués de l’endroit, nous avons sympathisé avec l’un des serveurs et en profitons pour échanger sur le récent coup d’Etat au Mali [ndlr : le coup d’Etat a eu lieu le soir du 21 mars 2012].
Il nous dit que l’établissement a ouvert ses portes de nouveaux il y a quelques jours seulement et que les clients qui y logeaient sont restés coincés à regarder la chaîne de télévision nationale durant plusieurs jours, avant de quitter le pays. Leur séjour au Mali se sera résumé au trajet entre l’aéroport et Bamako. Dommage.
Nous lui demandons ensuite son point de vue sur le coup d’Etat, s’il soutient l’ancien président Amadou Toumani Touré (ATT) ou les putschistes. 
Il nous dit[1] : « ce coup d’Etat est un scandale, nous sommes un pays démocratique et je ne comprends pas comment des militaires puissent faire ça […] mais en même temps, tout ça c’est la faute d’ATT et de ses ministres. Comment on peut se rendre dans le plus important camp militaire du pays[2] pendant des émeutes, mépriser les gens qu’on a devant soi et tirer en l’air sans raison ?

Les militaires se révoltent car les leurs ce sont fait tuer au Nord par les Touaregs et ils estiment qu’ils n’ont pas le soutien du Président pour combattre. En réponse ATT envoi son ministre pour leur parler mais sans rien à leur proposer. Devant ce manque de respect, ils ont explosés »
On lui répond qu’ATT doit quitter le pouvoir d’ici un mois puisqu’il ne se présente pas aux élections, et qu’il n’avait sans doute pas envie de rentrer dans une guerre. Il doit sans doute préférer laisser son successeur régler ce problème.
Il rétorque : « sans doute, mais tu sais les plus grands ennemis de l’Afrique ce sont les africains[3]. Le continent est corrompu et les gens ne veulent pas travailler, on devrait fermer toutes les mosquées et les églises et forcer les gens à se mettre au travail »



Etonnée par les propos de ce petit gars tout frêle et souriant, je lui réponds : « Tu sais qu’on ne peut pas s’attaquer comme ça au lieux de cultes ? Les maliens sont trop attachés à la pratique de l’islam pour accepter ça »
Il s’emporte alors et me dit : « Je ne souhaite pas à l’Afrique de me voir un jour chef d’Etat, sinon ça va chauffer. Moi ce qui m’énerve le plus c’est qu’on ne peut même pas acheter ce qui est produit dans le pays. Je suis allé au pays Dogon à pied pour comprendre les valeurs de l’Afrique. Rentré à Bamako ce que je vois est différent, tout est ‘trop’, et je ne parle même pas du bazin[4]. Un bazin c’est minimum 30 000 Fcfa (45€), comment des maliens peuvent acheter ça ? Moi je ne pourrai jamais m’en payer un, ce n’est pas sérieux, mais non ici il y a des gens qui n’ont pas de quoi manger correctement qui s’en achète juste pour l’apparence ! Ça veut dire quoi ? Non, moi les gens qui en porte je ne les regarde même pas, ça m’énerve »
Le moment le plus percutant de la conversation est pour moi lorsqu’il m’a dit qu’il n’espérait rien pour lui et pour l’Afrique. Selon lui il n’y a aucun espoir car les gens se sont engouffrés dans une spirale autodestructrice. Il n’y aura pas de développement et les vies ne s’amélioreront pas, au contraire. De plus si les occidentaux ont autant d’emprise sur l’Afrique, c’est que les africains les laisse faire.
J’avais lu ces propos dans le livre controversé « Négrologie ; pourquoi l’Afrique meurt » de Stephen Smith, et les avaient trouvés horriblement racistes et défaitistes (en l’occurrence ce livre tire les mêmes conclusions que cet ami serveur, mais en les justifiants par des arguments sans fondements et des à priori racistes).
Entendre cela de la bouche d’un malien, c’est différent…et cela fait réfléchir.


[1] A noter que les propos qui vont suivre ont été retranscrit le lendemain de la conversation, aussi les mots sont sans doute quelques peu différents de ceux prononcés. Toutefois le sens et le contenu des propos sont strictement similaires et respectent les opinions des personnes en question.
[2] Camp militaire de Kati, en banlieue de Bamako, là où les affrontements ont commencé.
[3] Citation d’une chanson célèbre d’Alpha Blondy (chanteur de reggae ivoirien).
[4] Le bazin est un tissu de luxe importé le plus souvent d’Allemagne et teint au Mali. Le Mali a un savoir-faire inégalé dans la région en ce qui concerne la teinture de ce tissu.

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